La Seconde Guerre mondiale

Après le premier conflit mondial, on pensait que la barbarie de la guerre ne reviendrait jamais. Hélas, la crise économique des années trente, la montée des fascismes déclenchent un nouveau conflit.
Cette fois-ci, en plus de voir ses soldats prisonniers et ses jeunes requis pour le Service du Travail Obligatoire, le village souffre physiquement de l’occupation ennemie, des bombardements, des réquisitions, de l’exode et des dégâts causés par sa Libération.

La « drôle de guerre »
Les soldats :

Le 1er septembre 1940, l’Allemagne nazie envahit la Pologne. Quelques jours plus tard, le gouvernement de Daladier décrète la mobilisation générale. Tous les hommes ayant accompli leur service militaire sont appelés. Ils sont 21 à Chicheboville : René Suriray, Jules Magloire, Roger Dujardin, Joseph Tarrago, Georges Tarrago, Léon Carpentier, Maurice Barbey, Maurice Vincent, François d’Andigné, Raymond Macé, André Maximilien, Gaston Lemarinier, Victor Leclerc, Arthur Varin, René Normand, Désiré Macé, Henri Marchand, Stanislas Lemahieu, Léon Delasalle, Edmond Louvel, Michel Henry.

Lors de la débâcle de 1940, dix hommes sont faits prisonniers. Certains sont libérés avant la fin de la guerre. Les autres mobilisés sont renvoyés au village pendant l’été.

Joseph Tarrago, qui a la chance d’avoir une permission en tant qu’infirmier, témoigne :

Je fus capturé à Anné en Belgique et emmené jusqu’à Poznań en Pologne. Arrivé là, j’ai participé à ce que je pensais être la construction d’un lac, souvent par des températures atteignant – 28°. Puis, avec des centaines d’autres prisonniers, je me suis rendu à pied à Later (Hanovre) dans un camp de prisonniers où je fabriquais des accumulateurs et ce jusqu’à la fin de la guerre. Je portais une étoile blanche qui me permettait de circuler dans tout le camp. Les conditions de vie étaient très dures et la nourriture manquait cruellement ; partager devenait obligatoire.

L’arrivée des Allemands

Du fait de la Guerre-éclair et de la progression rapide des Allemands, les habitants de Chicheboville n’ont pas le temps de fuir. Pourtant l’exode est préparé par certains, suite aux rumeurs colportées sur les atrocités commises par l’ennemi. Aucun combat n’a lieu aux alentours de la commune. Seuls quelques soldats isolés se repliant sur Cherbourg font sauter le dépôt d’essence de la gare de Moult. Des personnes habitant Caen et Mondeville viennent se réfugier dans leurs familles, à la campagne. La plupart y restent jusqu’à la fin de la guerre.

Le 23 juin 1940, les troupes allemandes arrivent par la route nationale et traversent Chicheboville. Les jours suivants, ils s’installent dans la commune, logent chez les personnes qui disposent d’une chambre libre. La population a peur et fait très attention. Peu de jours après leur arrivée, le maire et un sous-officier visitent les maisons et réquisitionnent les fusils. Plus tard, ce seront les postes de radio. Cependant certains, comme M. Romain, prennent bien soin de cacher leurs armes après les avoir graissées puis roulées dans des linges.
L’année 1940 symbolise la défaite française et le début de l’ordre allemand. Elle apparaît comme une phase de transition : une période paisible avant le commencement d’une terrible occupation.

La vie continue malgré l’Occupation
Travailler

Chicheboville est une commune située en zone rurale et la majorité de ses habitants travaillent dans l’agriculture. Les autres se répartissent entre la tuilerie de Beauvais, située au Fresne d’Argences, la gare avec une douzaine de cheminots et la Société Métallurgique de Normandie (S.M.N.). Une annexe de la scierie Anjou (rue des Croisiers à Caen), dirigée alors par les Allemands, se monte dans les bois de Secqueville et fonctionne jusqu’en 1943. Elle abat les arbres environnant le village pour produire du charbon de bois et contribue donc à la déforestation de la commune. Du printemps 1943 au printemps 1944, l’entreprise Lapuza fait extraire de la tourbe dans les marais de Vimont pour l’usine à gaz de Dives-sur-Mer.

La loi du 16 février 1943 instaure le Service du Travail Obligatoire ou S.T.O. Des milliers de travailleurs français sont réquisitionnés et transférés contre leur gré en Allemagne pour participer à l’effort de guerre allemand. Plusieurs chichebovillais sont requis.

Gaston Leclerc, requis du STO, pense que sa réquisition est due au fait qu’il est un ancien gréviste de 1936. Il travaille à Essen, en Rhénanie, dans une usine de fabrication de poudre pour munitions et revient une seule fois en permission. Pendant ce temps, en Allemagne, un homme : Robert Poulain d’Argences, se tient garant pour lui. S’il ne revient pas, l’otage est fusillé. A Paris, un résistant l’aborde et l’incite à ne pas repartir mais il refuse. En Allemagne, les conditions de vie sont difficiles, il rentre en France après la débâcle de l’armée allemande. La plupart des requis ne reviennent qu’en 1945.
De nombreux jeunes refusent ce système, ce sont les réfractaires. Ainsi, Pierre Lemoine entre dans la clandestinité, il décide de rester en France et se cache dans le Pays d’Auge. M. Guillerme, parti six mois en Allemagne, décide, lors d’une permission, de ne pas repartir et vit dans la semi-clandestinité. Il semble que les gendarmes favorisent certains requis.

 

 

 

 

 

 

 

 

 

Se nourrir devient une priorité

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

Des cartes de rationnement sont instaurées pour la nourriture, les vêtements… Comme la majorité des villages de campagne, Chicheboville ne souffre pas trop de la pénurie. Certains aliments : viande et matières grasses, manquent plus que d’autres et de la farine est moulue clandestinement. Une fois par mois, les cartes sont distribuées gratuitement à la mairie. Plus on a d’enfants et plus ils sont jeunes, plus les points sont nombreux. Ensuite, on se rend à l’épicerie avec les tickets.
Les habitants sont solidaires et certains agriculteurs plantent un rang de pomme de terre pour chaque famille. Certaines personnes viennent de Caen à vélo pour faire le tour des fermes et se ravitailler. M. Catel se souvient de la pénurie : « Les temps étaient durs. Mon père posait des pièges, des collets, même les brochets du Sémillon qui se chauffaient au soleil devaient le craindre. On était content quand il y en avait un de pris. C’était le temps des pots-au-feu de corbeaux ou des merles rôtis au four».

Le jeudi après-midi, lors de la moisson, les enfants peuvent glaner blé et orge dans les champs. Ils vont aussi cueillir des champignons, des fraises et ramasser du bois pour chauffer la maison. Les écoliers sont réquisitionnés pour ramasser les doryphores car les insecticides n’existent pas. On leur attribue chacun un rang de pommes de terre et une boîte de conserve pendue au cou par une ficelle. Ils ramassent insectes, larves et œufs. En fin de journée on brûle le résultat de la collecte. Cela dégage une odeur infecte.

Les réquisitions sont nombreuses : armes, terrains… Le 31 mars 1944, 30 postes TSF, réquisitionnés, sont déposés à la mairie.

Où habitent nos concitoyens en 1944 ?

Les deux plans ont été réalisés avec l’aide de plusieurs Chichebovillais, ils comportent surement des erreurs mais cette version est celle qui a rencontré le plus large consensus.

Les Allemands

L’armée d’occupation est constituée, en partie, de pères de famille et de quelques vétérans du premier conflit qui détestent la guerre. Tous les témoignages concordent pour dire que les Allemands sont corrects et que jamais ils n’usent de violence. Ils respectent beaucoup les familles nombreuses. L’officier Spiegel, responsable de la Kommandantur de la gare de Moult-Argences, est apprécié de la population des environs grâce à ses actes de bienveillance. Il laisse quelquefois les ouvriers qui travaillent à la gare emporter un seau de charbon chez eux.

 

 

 

 

 

 

 

Les Allemands sont présents dans le village du 23 juin 1940 au mois de juin 1941, ils logent chez l’habitant. Cependant, leur présence est permanente à la Kommandantur de Moult-Argences. Seules quelques patrouilles viennent inspecter le village. Ils font leur retour, accompagnés de la cavalerie, en septembre 1943 et ce jusqu’à la Libération. Les gradés logent chez ceux qui ont une chambre libre. La Kommandantur s’impose chez M. Clément et au château Augustin-Normand. Des campements s’installent près des marais. Le château de la famille d’Andigné est réquisitionné afin de servir d’hôpital de campagne.

Les Allemands installent leur cantine dans la ferme de la famille Theunynck et ils engagent des femmes du village comme serveuses ou cuisinières. Quelquefois, les enfants vont mendier de la nourriture que les soldats partagent volontiers.

L’occupant dispose d’un aumônier qui célèbre l’office à des heures différentes de celles de la paroisse. Les Allemands s’installent avec leur propre administration, leur propre service de ravitaillement.
Les soldats vont toujours par deux car un seul pourrait parler et se lier d’amitié ce qui leur est interdit. Lors des périodes d’occupation du village, les troupes sont renouvelées tous les trois mois. Les rapports restent bons et sans violence mais il ne faut pas oublier que la population vit sous la contrainte et qu’elle nourrit toujours un certain ressentiment vis-à-vis de l’occupant.
Pour chaque réquisition, les habitants ont un reçu. Les Allemands exigent d’abord du bétail : bœufs et vaches sont expédiés en Allemagne ou utilisés sur place, les abats sont distribués à la population en fonction du nombre d’enfants. Puis, ce sont les chevaux, le blé, le beurre et les pommes de terre. Les agriculteurs sont les premiers touchés et doivent déclarer tout ce qu’ils possèdent. Chez les particuliers, les soldats prennent une poule ou un lapin de temps à autre.
Après le déraillement de 1942 et jusqu’au Débarquement, les voies ferrées sont gardées la nuit par des hommes désignés à tour de rôle. Pour éviter que les avions alliés ne repèrent le village, le couvre-feu est instauré à partir de 22h. Aucune lueur ne doit passer par les fenêtres. Les fusils sont réquisitionnés dès 1940 et la chasse interdite, mais les collets existent toujours.

Quelquefois, l’école est occupée pour les cours d’instruction militaire et les cours de français aux soldats ; ceci au grand bonheur des enfants. Les déplacements sont interdits. Pour entrer ou sortir de la commune, il faut un laissez-passer. Le seul moyen de transport est la bicyclette, l’essence disparaît dès 1941 ou est réservée aux Allemands. Durant l’hiver 1943, les fermiers doivent sortir leurs bêtes de l’étable pour y mettre les chevaux de la cavalerie allemande. A partir de 1943, la présence allemande devient beaucoup plus difficile à supporter.

Au début de l’année 1944, des prisonniers russes arrivent à Chicheboville. Ils restent deux semaines et sont chargés de planter des « asperges à Rommel » : tronc de pins devant éventrer les engins de débarquement et contrer le largage de troupes aéroportées. Ils sont de type mongol et ils marquent les mémoires car c’est la première fois qu’on apercevait des personnes au caractère physique si différent du type européen. Les Allemands les traitent comme des bêtes, les nourrissent à peine ou alors leur donnent les pommes de terre que les agriculteurs jettent, le tout servi dans des mangeoires à bestiaux.

Le Débarquement
Les préparatifs

A partir de 1944, les avions anglais survolent la commune et font du repérage. Quelquefois, ils descendent rapidement, bombardent quelques lieux comme la Hogue ou les bois de Secqueville puis ils remontent très vite.

La défense anti-aérienne allemande installe alors, en haut de la côte de Chicheboville, une batterie aérienne 8.8 flak qui fait feu sur les avions britanniques (1). Un mois avant le Débarquement, l’un d’eux est abattu et s’écrase derrière l’école. Le pilote s’enfuit dans les blés et personne ne sait ce qu’il est devenu. Une autre batterie est cachée dans une vieille grange située dans le virage de la rue de l’église, côté plaine (2). Une troisième dans la première haie au-dessus de la ferme Theunynck (3). Une quatrième qui n’a pas tiré dans la pièce des Mille Perches (4). Une cinquième, constituée de plusieurs canons, est dissimulée sous l’avenue du parc, à l’arrière du château de Béneauville (5). Une sixième en haut de la côte de Béneauville (6). Un canon, braqué vers Cagny, est situé dans le parc du château de Chicheboville (7). Une pièce d’artillerie est dissimulée sur la pente du coteau longeant le chemin du Roi à limite entre Béneauville et Moult (8). Lors des attaques alliées, le ciel se remplit de traits lumineux, de fumées blanches ; les éclats de bombe retombent en émettant un son strident comme celui des sirènes. A Navarre, chez la famille Lermat, les Allemands creusent de grands trous dans le parc pour y camoufler des chars (9).

Les bombardements deviennent de plus en plus fréquents et les habitants décident de construire des abris. Ce sont de larges tranchées recouvertes de perches de bois, de branchages et de terre, chacun pouvant contenir jusqu’à une quinzaine de personnes.
Les Allemands deviennent de plus en plus nerveux. La veille du Débarquement, des espions anglais sont aperçus. Deux hommes portant uniformes de la Wehrmacht se rendent dans la ferme de Désiré Macé pour lui demander, avec un fort accent anglais, où se trouvent les campements allemands. Le soir même, le fait est rapporté à l’occupant qui décide de changer l’artillerie de place.
L’intensité et l’apparition soudaine des bombardements surprennent tout le monde. Peu ont le temps de se construire un abri.

Le jour J

Le six juin, au petit matin, tout le monde dort. Soudain, des grondements, plus importants qu’à l’habitude, se font entendre. Les habitants sortent de chez eux et aperçoivent en direction de Caen un ciel rouge malgré l’obscurité. Les Allemands sont affolés et courent dans tous les sens. Ils ne savent pas très bien ce qui se passe. Furieux, mais aussi confiants, ils déclarent à certains qu’ils vont vite remettre les Anglais à la mer. Parmi la population se mêlent des sentiments de crainte et d’espoir. Chacun reste cloîtré par peur des bombardements et des Allemands. On imagine les Anglais à cent mètres du village mais cette attente fiévreuse de libération est vite déçue. Les alliés mettront un mois et demi avant d’arriver à Chicheboville. Un soir, un camion allemand traverse le village transportant des parachutistes alliés capturés, reconnaissables à leur béret rouge.
Les habitants vivent dans la peur, plus les alliés se rapprochent, plus le climat devient insupportable. Des divisions blindées, notamment la 1ère division SS Panzer (PZ), traversent le village en direction de Caen. C’est la première fois que les SS se trouvent à Chicheboville, ce sont des hommes jeunes. Ils s’installent au château de Béneauville transformé en hôpital militaire.

La salle à manger se transforme en bloc opératoire, la cuisine en pharmacie. Après deux semaines d’occupation du château, le propriétaire, M. d’Andigné, maire de la commune, est mis à la porte. Les habitants aperçoivent des camions venant de Caen ou de la côte, qui se rendent au château, chargés de corps entassés et de blessés. Les Allemands enterrent leurs morts dans le parc du château et avant l’évacuation on compte déjà une centaine de tombes. L’hôpital accueille aussi des civils, majoritairement des enfants. Marcel Gibert se souvient : « La pelouse était couverte de blessés. Je me souviens d’un jeune Allemand. Pour qu’il ne perde pas ses entrailles, une sangle lui passait sous les genoux et au cou. Je ne sais pas s’il s’en est tiré. Il y avait aussi des civils ».
A cause des bombardements alliés, on opère quelquefois sans électricité, à la lueur des bougies. Les hommes donnent leur sang et obtiennent en échange des boîtes de nourriture en conserve, la plupart du temps de la confiture de sureau.

Début juillet, les Allemands réquisitionnent des hommes pour creuser des trous sur le bord des routes, afin que ceux-ci servent de refuge d’urgence en cas de bombardement. La nuit, les habitants dorment dans leur abri car les maisons deviennent la cible des bombardiers. On vit sur les réserves. Les bêtes de la ferme Van Der Stichèle sont tuées pour nourrir la population. Les bœufs de Raymond Macé, qui se trouvent à proximité du château de Béneauville, sont abattus clandestinement la nuit, un à un, pour nourrir les blessés de l’hôpital.
Le 16 juillet, comme une sorte d’avertissement, un obus tombe dans les marais. Il blesse M. Grienberger à la nuque, il décède à Giel dans les jours suivants.

L’opération « Goodwood »

Du 18 au 20 juillet, les troupes anglaises de Montgomery lancent l’opération Goodwood qui vise à dégager Caen, en réalisant une percée à l’est de la ville par une attaque massive de blindés. Les avions alliés bombardent les tanks qui montent vers Caen et Conteville. Goodwood oppose quatre divisions d’élites britanniques dont trois blindées à la 21ème PZ allemande dont le PC est au château de Vimont. Les Alliés avancent mais, dans le secteur de Chicheboville, ils sont face à la 1e PZ SS «Leibstandarte Adolf Hitler ».

L’opération devient une des plus grandes batailles de chars qui suit le Débarquement. Le 19 juillet, les Allemands reculent et les combats se déplacent dans les bois de Secqueville, à moins d’un kilomètre du village. Des soldats allemands isolés refluent sur Chicheboville en délirant, en pleurant, les vêtements en lambeaux. Certains s’adressent aux habitants : « Merde la guerre », « compagnons tous kaput ». Les bombardements s’intensifient et font trois victimes de la même famille : Jeanne Pensibis (tuée par un éclat d’obus) âgée de 9 ans, Jean et Louis Pensibis. Le même jour, M. Decrok meurt dans son abri, lui aussi touché par un éclat. Ces décès donnent le signal du départ et les Allemands décident l’évacuation de la population pour l’après-midi même.

Le 18 juillet, au petit matin, 2000 bombardiers Lancaster, Halifax, B-17 et B-24 bombardent les unités terrestres du sud-est de Caen. Plus de 250 000 obus sont tirés. Le 19 juillet, près de Frénouville,
les hommes de la 7e Division de Blindés britannique engagent le combat contre la 12e PZ SS.

A la fin du mois de juillet, l’opération Totalize est lancée par les forces armées britanniques, canadiennes et polonaises le long de la route de Caen à Falaise pour briser le front allemand. Du 15 au 17 août, le 7e bataillon « The Duke of Wellington » de la 147ème brigade, 49ème division d’infanterie britannique programme une attaque au sud-est d’une ligne Vimont-Moult. Le 15 août, les Anglais du 4th bataillon Lincolnshire libèrent Chicheboville. Les Allemands se replient vers les marais mais, avant leur départ, détruisent les maisons se situant aux angles des chemins y conduisant.

L’exode
L’évacuation

L’évacuation se fait dans la panique, sans ordres, les obus tombant un peu partout. Les agriculteurs lâchent leur bétail car on ne doit emporter que le strict nécessaire. Certaines familles se retrouvent dans un convoi dirigé par des Allemands et logent dans des centres de ravitaillement. Les habitants aperçoivent le long de la route des chars brûlés, renversés, des prisonniers anglais, des avions écrasés. Quelqu’un décide d’enterrer un aviateur dont l’avion s’est écrasé. Les Allemands protestent et insultent ceux qui participent à la cérémonie funéraire. Sur la route, des tracts, des journaux et même des Marks sont éparpillés sur le sol. Chacun se débrouille comme il peut. On quémande dans les fermes. Les itinéraires sont différents, les points d’arrivée aussi : Etrechy-Bourges, Saint-Pierre-des-Ifs, Livarot, Notre-Dame-de-Livet, Compagnac, Renouard, Limoges…Orne, Loir-et-Cher même Haute-Vienne. Sur place, on survit grâce aux petits boulots journaliers.

Irène Theunynck témoigne :

Comme tout le monde, nous sommes partis le 19 juillet. Un de mes frères est mort ce jour-là dans un abri, un éclat l’a touché à la carotide c’est pour ça que je me souviens de la date exacte. Ce matin-là, assez tôt, il y a eu un gros bombardement, plus [important] que les autres. Tous les carreaux de la maison se sont brisés. Les portes ont été cassées par la déflagration, on aurait dû les laisser ouvertes. Nous avons eu trois ou quatre obus moyens dans la maison. Les Allemands ont donné l’ordre de partir.
Nous avions deux chariots pour nos affaires et un troisième pour transporter des civils : les Niard et les Boulin. J’ai décidé d’emmener mes quatre vaches car, comme ça, j’aurais toujours du lait pour les gamins. Il fallait suivre le trajet officiel sur Maizières. Le soir, nous avons tué un cochon. Un jour, près de Livarot, on passe devant une ferme ; il pleuvait, c’était l’orage. Nous avons un peu forcé la maîtresse de maison, qui était seule, à nous accueillir. Le lendemain, son neveu est revenu et il a dit qu’on pouvait rester. Nous sommes restés un mois. On couchait dans un grenier à foin et nous avions des papiers officiels pour toucher quelque chose et nous nourrir.

Quelques familles refusent de partir. Henri Riquet a connu les bombardements durant la Première Guerre mondiale, il veut partir mais son fils aîné, Alphonse, refuse. Toute la famille se réfugie sous une bâche dans le marais. Elle ne reste là qu’une journée car ce lieu est pilonné à son tour. Finalement, tout le monde doit fuir, en urgence, à pied et sans bagages, abandonnant sur place leurs quelques vaches.
Trois autres familles : Lemoine, Catherine et celle de Jules Riquet décident de se cacher dans le gabion que M. Lemoine possède dans les marais, derrière sa maison, vers Bellengreville. Du 19 juillet jusqu’à la fin du mois d’août, elles restent littéralement terrées dans des conditions difficiles : chaleur, moustiques, bruits infernaux des combats. Dès qu’il le peut, Pierre Lemoine traverse les marais, visite sa demeure et surveille les alentours. Un jour, il rencontre des soldats anglais qui le questionnent, le prenant pour un espion. Pour les mettre en confiance, Pierre les emmène au grenier de sa maison d’où, depuis quelques jours, il a repéré des soldats allemands dans le bois dit « du Mesnil », derrière le château de la famille d’Andigné. Un petit groupe de fuyards s’est terré là et attend. Après observation, l’officier britannique commande par radio un tir d’artillerie qui « arrose » les Allemands mais celui-ci est éparpillé et atteint la maison Gesland près du calvaire et la ferme Macé. Finalement, les Anglais évacuent les familles sur Bayeux.

La disparition

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

Trois personnes décident de revenir au village, officiellement pour constater l’état de leur maison : Arthur Dujardin, Léon Lenable et l’abbé André Dufay. On ne les reverra jamais et le mystère de leur disparition n’a jamais été élucidé. En 1942, André Dufay a succédé à l’abbé Léonard. C’est un curé plutôt progressiste, jeune et qui s’emporte contre ceux qui « traficotent » avec les Allemands. Il se lie d’amitié avec Arthur Dujardin, de tendance socialiste, et un horsain Léon Lenable, un patriote arrivé au village en 1942.
Il est maintenant certain que les trois hommes se sont ralliés à un groupe de résistance sans que l’on sache lequel : le Dr Derrien à Argences ? Le groupe de Léonard Gille à Frénouville ? Rien n’a été prouvé. Le 19 juillet, les deux familles et l’homme d’église passent, comme tant d’autres, le passage à niveau de la garde de Moult-Argences fuyant les combats. Le soir même, les trois hommes décident de revenir à Chicheboville. Pour y faire quoi ? Personne ne le sait. Ils sont arrêtés par les Allemands et interrogés un jour et une nuit puis libérés. Ils sont ramenés à Saint-Pierre-des-Ifs où se trouve Mme Lenable. Mais, le 20 juillet au soir, un groupe SS revient les chercher sans motif annoncé. On les fait monter dans un camion bâché : quels éléments a-t-on retrouvés entre temps contre eux ? L’abbé Dufay a juste le temps de remettre à Mme Lenable un rouleau de pièces d’or. Celle-ci embrasse son mari au pied du camion. Elle ne le reverra jamais, pas plus que ses compagnons.
Après la guerre, leurs familles chercheront leurs corps dans plusieurs charniers notamment celui de Saint-Pierre-du Joncquet sans pouvoir les identifier. Plusieurs années après, la veuve Lenable recueille le témoignage écrit d’un prisonnier de Chicheboville, André Maximilien, qui affirme avoir vu son mari dans un camp de concentration à Radom en Pologne. Qui croire ? Et que penser des paroles d’un officier britannique basé au presbytère de Chicheboville qui affirme, en août 1944, que « le pasteur est mort ». Depuis, leurs noms sont cités lors des cérémonies commémoratives consacrées aux disparus.

Le retour

La famille Arruego est une des premières à revenir au village. Leur exode s’est arrêté à Saint-Pierre-des-Ifs, près de Lisieux. D’abord logés dans une ferme, ils doivent, devant l’avancée des Allemands, se cacher et vivre presque une semaine dans une tranchée. Un matin, l’aîné des fils : Pedro, s’enhardit et sort de la cachette. Il rencontre alors les premiers britanniques et il assiste à la reddition d’un groupe d’Allemands. Avec son jeune frère José, il décide de repartir à Chicheboville où se trouvent déjà les soldats anglais. A partir de la fin du mois d’août, les familles reviennent petit à petit, certaines, comme celle de Christian Niard, ne rentrent que l’année suivante, en 1945.

Les Anglais, accueillis en libérateurs, occupent le village jusqu’à la fin du mois d’août. Ils s’installent au château de Béneauville. La population découvre aussi les destructions, les trous dans les maisons, la trace du passage de pillards. Toutes les maisons portent les traces des bombardements et des tirs d’artillerie : éclats d’obus, trous dans les murs, toitures éventrées, tuiles cassées, 68 familles sont déclarées sinistrées partielles. Les logements ont été fouillés de fond en comble, des meubles sont retrouvés à plusieurs kilomètres, beaucoup ne sont jamais récupérés. Portes, fenêtres, meubles, papiers, nourriture, beaucoup de choses manquent. Il n’y a plus d’électricité, presque plus de vitres.
A son retour, fin décembre 1944, dans sa cuisine, Jules Riquet découvre un abri d’environ 2 m sur 1m50, creusé sous la table. La chambre qui donne sur la rue principale ressemble à une forteresse avec des sacs de sable entassés ; les soldats ont ouvert deux créneaux dans le mur pour tirer sur la route.
Irène Theunynck se souvient du retour :

Dans la maison, tout était cassé mais les bâtiments avaient tenu. Dans la salle, j’ai trouvé un trou avec du sang dedans. Peut-être quelqu’un a-t-il été tué là ? Mais le trou n’était pas très profond. Tout était fouillé, volé. Mon fourneau était devant la fenêtre, comme si on avait voulu l’embarquer mais, il était trop lourd et donc ils ne l’ont pas pris. Je pouvais donc faire à manger. Un jour, un soldat anglais est venu. Il voulait parler, je ne comprenais rien. J’avais les gamins dans les bras, il a vu que j’avais peur et il est parti.

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

Dans les marais, on retrouve des cadavres de soldats allemands ou anglais morts de leurs blessures. Il y a deux cimetières militaires à Chicheboville. On compte 120 tombes allemandes dans le parc du château de Béneauville et une quinzaine au lieu-dit « Le vignoble » près de l’église de Chicheboville, toutes nationalités confondues. Ces sépultures ne sont relevées qu’en 1949.

Comme pour l’église de Moult, celle de Chicheboville se situe dans un creux. C’est peut-être pour cette raison qu’elles sont épargnées par les bombardements alliés alors que les églises de Cagny, Argences, Vimont, Airan et Bellengreville sont systématiquement détruites.

Le retour des réfugiés est entaché par la mort de Paul Canu tué, le 30 août 1944, en ouvrant sa porte piégée par une grenade. En 1945, tous les prisonniers rentrent au village..

Quelques mois plus tard, des équipes de déblaiement sont mises en place ; certains habitants, comme Joseph Tarrago, en font partie. Toutes les pierres récupérables sont entassées au bord des routes. Dans les fermes, certains agriculteurs embauchent des prisonniers allemands du camp de Fleury-sur-Orne. Les personnes sans logement doivent vivre dans des baraquements. Les problèmes de ravitaillement durent jusqu’en 1947. Il faut, en urgence, reloger les sinistrés, essayer de couvrir les maisons avec du papier goudronné, obturer les fenêtres qui ne possèdent plus beaucoup de vitres. Le plus grave reste la présence de mines qui ne permettent plus de circuler en sécurité. Les travaux de reconstruction pour les particuliers ne commencent réellement qu’au début des années cinquante par l’entreprise Guerra de Paris.

Le 8 mai 1945, c’est officiellement la fin de la guerre. Raymond Queudeville et son père sonnent longuement les cloches pour commémorer la capitulation de l’Allemagne.